Abus sexuels et pédophilie – Une journée de sensibilisation et de partage organisée par la Corref

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Abus sexuels et pédophilie – Une journée de sensibilisation et de partage organisée par la Corref

Le lundi 11 juin 2018, la Conférence des religieux et religieuses de France, a organisé une Journée de sensibilisation et de partage sur le thème « Abus sexuels et pédophilie ». Cette journée s’inscrit dans la dynamique déjà engagée par la Corref depuis plusieurs années sur ces questions. Dans l’assemblée : 120 religieux et religieuses, responsables de leurs instituts, de vie apostolique et monastique.

Ouverture de la journée par Sr Véronique Margron, présidente de la Corref.

« Je me demande comment les enfants survivent au chagrin ».
Christian Bobin, Le Christ aux coquelicots

Voilà ce dont il s’agit pour nous aujourd’hui. Entendre ce chagrin si particulier, insupportable, qui ne s’efface ni ne s’apaise vraiment. Un chagrin du fond de l’âme et du corps et une grande colère.
Il s’agit donc des abus sexuels commis par des membres de l’Église, par des membres de nos instituts religieux, plus d’hommes que de femmes, mais des femmes aussi. Il s’agit aussi d’abus dont des membres de nos Instituts ont été les victimes. Des abus qualifiés bien improprement de pédophilie. Terminologie pernicieuse. Car chacune et chacun de nous ici aime les enfants. Pour aimer en vérité les enfants, comme d’ailleurs pour pouvoir aimer cet enfant que nous sommes toujours, comme l’écrivait avec tant de passion Françoise Dolto, il faut s’écarter de toute confusion. Aussi est-il plus correct de parler de « pédoclastie ». Analogie avec l’iconoclastie qui est le fait de briser, de détruire, les images religieuses. La pédoclastie c’est alors briser l’enfance, la détruire. Prendre la mesure du séisme provoqué, c’est voir combien nous sommes à l’opposé d’une affection, voire d’une amitié (philia) avec les enfants.

Le piège des mots est déjà souvent celui de la pensée. ” Mal nommer un objet c’est ajouter au malheur de ce monde, car le mensonge est justement la grande misère humaine, c’est pourquoi la grande tâche humaine correspondante sera de ne pas servir le mensonge.” Par-dessus le marché, commis par des prêtres ou religieux, c’est aussi de Dieu dont il s’agit. Un Dieu qui se trouve aussi brisé, lui le Dieu dont les entrailles saignent quand les plus pauvres ou vulnérables, dont les enfants, sont trahis jusqu’au fond de leur âme comme de leur corps.

Voilà alors qui introduit une double mémoire traumatique. Celle dont parle si bien Muriel Salmona, psychiatre qui se bat en faveur des victimes, afin que l’amnésie traumatique – qu’elle a amplement théorisée – soit reconnue par la justice.
Citons-la un instant : « La mémoire traumatique, trouble de la mémoire implicite émotionnelle, est une conséquence psychotraumatique des violences les plus graves se traduisant par des réminiscences intrusives qui envahissent totalement la conscience (flash-back, illusions sensorielles, cauchemars) et qui font revivre à l’identique tout ou partie du traumatisme, avec la même détresse, la même terreur et les mêmes réactions physiologiques, somatiques et psychologiques que celles vécues lors des violences. Anhistorique, non-intégrée, hypersensible, elle est déclenchée par des sensations, des affects, des situations qui rappellent, consciemment ou non, les violences ou des éléments de leur contexte, et ce jusqu’à des dizaines d’années après le traumatisme. Elle s’apparente à une bombe prête à se déclencher à tout moment, transformant la vie en un terrain miné… »

3 points d’attention pour ouvrir cette journée, et qui ont motivé notre volonté de vous proposer ce temps de sensibilisation, d’écoute, d’échanges sur un sujet si grave et lourd.

Nos instituts, à partir des leurs intuitions fondatrices, ont tous des rêgles de vie, des constitutions dont la finalité est de nous tourner vers l’Évangile par un chemin particulier. Ce simple constat me parait faire écho à ce que le philosophe Paul Ricœur nomme le tournant de l’interdiction, non pas d’abord pour interdire ou pénaliser, mais pour fournir des repêres, pour rendre à la conscience ses droits, pour ériger une digue qui rend possible les amours, pour manifester le lien qui doit exister entre la loi morale et le droit et signifier à l’homme qu’il n’a pas le droit d’avoir tout pouvoir sur l’autre. Faut-il nous rappeler ici que la foi chrétienne peut être d’autant plus pervertie que le sentiment de toute-puissance propre aux agresseurs peut s’appuyer sur la célêbre sentence de S. Augustin : « Aime et fais ce que tu veux » , en s’appuyant sur S. Paul pour dénier la loi : nous ne sommes plus soumis à la loi puisque « Le Christ est la fin de la loi » (Rm10,4) …

La vérité

La transparence, dont je ne suis pas une adepte par ailleurs, est pourtant ici indispensable. Pendant des décennies, elle n’a pas été le critère d’action de l’Église qui voulait au contraire cacher ces actes. Renforcé de plus par une culture de nos Instituts vécus comme des familles où le réflexe premier est de protéger les siens et de les croire, parfois envers et contre tout. Nous avons maintenant l’obligation de veiller à tenir un langage de vérité et à renoncer à toute langue de bois comme à ce que les sociologues nomment la « culture de docilité » dans l’Église catholique.
Cette vérité qui nous rendra libre (Jean 8,32) et qui suppose courage et cohérence. Qui nous fera tout mettre en œuvre pour protéger les innocents et les personnes vulnérables, et pour éviter tout ce qui pourrait leur nuire . Une exigence qui doit aller de pair avec le discernement, avec la vertu de prudence afin de se garder de tout amalgame et d’un soupçon généralisé qui peut devenir fou et tuer aussi des personnes dans leur réputation, dans le regard des autres, dans l’estime d’eux-mêmes, parfois jusqu’à alors décider de mourir.
Exercice éthique, exercice de responsabilité, aussi délicat qu’indispensable.

La foi et l’Église

Les adultes abuseurs ont volé Dieu à leurs victimes. Comment croire encore que Dieu est réellement bon ? proche ? un Dieu qui me veut du bien ? Comment croire qu’il est vivant lui qui est apparu absent lors du drame. Comment encore reconnaître l’Église comme fiable ? Approcher sans crainte ni confusion de la table eucharistique ? Comment prier le Pêre, quand ceux que l’Église désigne pêres ont semé le malheur et la destruction par leurs mensonges (c’est pour ton bien, c’est parce que je t’aime davantage) comme l’antique serpent de Genêse 3. Tous ces éléments, si douloureux pour les victimes, leur demandent un três long et incertain voyage de retour vers la vie qui se tient en Dieu. Lent et douloureux travail pour se réapproprier les Écritures, les sacrements, la vie de l’Église… pour ne plus avoir peur. Pour tenter, pas à pas, refaire confiance

La vie est longue à revenir me disait un jour une victime, qui parlait enfin plus de 30 ans après les faits.

Alors avant tout les écouter. Et écouter encore. Laisser pénétrer leurs mots, ouvrir nos oreilles autant que nos intelligences et nos cœurs. Entendre leur peine, leur souffrance indicible, leur coleÌ€re, leur deÌ ception, leurs questions criantes et leurs espérances.
Quelle parole tranchante comme le glaive saura déchirer un obscurantisme moral, un idéalisme aveugle et meurtrier, une fraternité dévoyée ? Quelle parole tranchante dans nos propres communautés pour reconnaître notre implication dans les effets du mal et rompre avec nos réactions encore trop souvent deÌ fensives.

En fin de compte, quelle lecture spirituelle pouvons-nous faire de la situation présente ?
Quelles conversions et quels actes indispensables pour tenter de réparer ce qui peut l’être, afin que ces enfances brisées puissent à nouveau croire en la vie, en un Dieu de douceur –espérons-le de tout cœur, et un jour peut-être si nous avons tous œuvré pour la vérité et la justice, à une Eglise enfin plus sûre.

Paris le 11 juin 2018, Véronique Margron op.
Présidente de la CORREF

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