Communiqué

Communiqué de la CORREF suite au rapport des Frères de Saint-Jean “Comprendre et guérir”

PARTAGER

Communiqué de la CORREF suite au rapport des Frères de Saint-Jean “Comprendre et guérir”

PARTAGER

Communiqué

Partager

Communiqué

Communiqué de la CORREF suite au rapport des Frères de Saint-Jean “Comprendre et guérir”

À propos du rapport communiqué par les frères de Saint-Jean « Comprendre et guérir ». « Faire croire » ou la fabrique d’un mensonge pour l’injustifiable

Saint Jean

Écœurés, atterrés, accablés.

Tels sont les sentiments qui montent à la lecture des 800 pages du rapport « Comprendre et guérir » de la commission interdisciplinaire des frères de St Jean. S’il faut profondément remercier la communauté d’avoir eu le courage de mener à terme l’infernal labeur qu’avait promis de faire le chapitre général des frères en 2019, sa lecture donne la nausée.

Quelque chose défie la raison : comment en moins de 50 ans de la vie d’une communauté peut-on avoir un tel nombre d’agresseurs, près de 80, (connus) et de victimes, près de 200 (connues) ? Que s’est-il passé pour que justement rien ou si peu se passe ? Après une longue étude historique – particulièrement éreintante – sur les abus et agressions sexuelles commis par le fondateur, Marie-Dominique Philippe, puis d’autres frères, voire de sœurs, le chantier se poursuit sur cette question : qu’a fait – et surtout que n’a pas fait l’Église ? Que n’ont pas fait certains acteurs ? Pourquoi ? On reste médusé.

Donner à croire.

Qu’est-ce qui s’est donné à croire pour que des actes injustifiables puissent être considérés comme légitimes, voire encouragés ? C’est la langue – la langue de Dieu, sa Parole – qui a été manipulée en vue d’une désorientation calculée permettant l’asservissement, l’abus, l’agression. Faire croire à autre chose que ce qui est communément admis comme juste, vrai, structurant pour la vie. Cette vaste entreprise s’est réalisée avec des stratégies – conscientes ou non, mais très efficaces – menant au détournement complet des limites, des interdits, bref de la différence entre bien et mal. L’usage de la spiritualité, de la théologie, du sens de l’autorité, fut brouillé au profit d’une mise en berne de la conscience personnelle, de l’esprit critique, de la singularité du sujet, de sa capacité à interpréter, de son intégrité physique, spirituelle, éthique. Si la vocation d’une langue est de nommer pour rendre clair et ordonner, dans la stratégie de Marie Dominique Philippe, puis d’autres frères, c’est bien de semer le chaos dont il a été question.

Comment ne pas penser à ce que rappelait le juge Édouard Durand dans son intervention introductive à notre assemblée générale d’avril dernier : « Il faut toujours dire ce que l’on voit : surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit. Et le plus difficile c’est de voir la violence. Alors que ce que nous avons sous les yeux est un processus où l’agresseur prépare et met en œuvre l’agression. Souvent sous notre regard complice, ou passif. »

Le « consentement meurtrier ».

Comment est-ce possible que la communauté, et l’Église qui l’a accompagnée, aient fait si peu cas de la morale commune ? Celle qui consiste justement à nommer l’injustifiable ? Alors même que le mystère pascal nous renvoie sans cesse à cette confrontation : pouvoir reconnaître le mal pour le combattre. C’est un « consentement meurtrier » comme l’écrit le philosophe Marc Crépon, que nous découvrons, horrifiés et honteux. « Cet accommodement avec la mort violente, toute accoutumance au meurtre, toute transaction, en réalité intenable, avec les principes qui devraient en exclure la moindre acceptation… » Quelles sont les causes d’un tel accommodement, de cette transaction avec l’injustifiable ? Si le rapport ouvre des voies, reste cette question centrale, immense, pour l’avenir de la communauté.

La journaliste Céline Hoyeau écrit dans son ouvrage « La Trahison des pères » le cœur du problème : la place excessive et exclusive d’un fondateur ou d’une fondatrice parés de tous les charismes, le sentiment de jouir d’une révélation exceptionnelle réservée à certains, un déséquilibre dans la présentation des éléments de la foi et de la morale, une formation qui ne respecte pas les critères de l’Église, une manière hautaine de regarder la tradition précédente, la prétention de sauver l’Église de ses erreurs, une tentation du secret et une discipline de l’arcane, un défaut de gouvernance qui s’exprime en un refus de débattre en interne et de se soumettre au contrôle des instances ecclésiales légitimes. »

Oui, les pires pièges se mettent en place dès que nous renonçons à réfléchir par nous-mêmes, à discerner le vrai du faux, le juste de l’injuste. Entraîner l’autre, y compris la victime, dans les mensonges et les compromissions, pour le rendre complice du système pervers, tel est ce qui s’est passé, à grande échelle, avec et à la suite des abus et agressions commis par Marie Dominique Philippe.

Aujourd’hui

Aujourd’hui il nous faut espérer que l’ensemble des réformes entreprises par la communauté st Jean puisse – comme le dit le titre du rapport – permettre de « guérir ». En s’assurant avant tout d’un authentique processus de reconnaissance et de réparation pour toutes les victimes. À ce titre, la CORREF rappelle avec insistance que les personnes victimes de membres de la famille st Jean peuvent s’adresser à la CRR[1], si elles n’ont pu déjà le faire.

En mettant aussi en œuvre, comme l’ensemble de la vie religieuse en France les « Préconisations et bonnes pratiques » votées lors de la dernière assemblée générale. Spécialement quant à la formation : conscience critique, place de la finitude et de la vulnérabilité, rapport au corps. Mais aussi le strict respect du for interne et de la liberté spirituelle ou encore la réalisation d’audits externes et de cartographie des risques.

Avec tant de chagrin, d’incompréhensions, de honte, je peux reprendre le titre du livre du bibliste Philippe Lefebvre « Comment tuer Jésus ? Abus, violences et emprises dans la Bible ». Tragiquement, scandaleusement c’est ce que ce rapport raconte. Nous voulons croire qu’il ne pourra plus jamais en être de même et que respect, intégrité et liberté seront au cœur de toutes relations.

Véronique Margron
présidente de la CORREF,
27 juin 2023


[1] https://www.reconnaissancereparation.org/

PARTAGER

à découvrir aussi

La CORREF vient d’éditer une nouvelle publication rassemblant en un seul ouvrage les recommandations de la CIASE y compris le travail de

Récit d’une rare intensité et justesse, le quotidien d’une femme aux avant-postes de l’accompagnement des victimes et de la lutte contre les